
Salon international de l'agriculture au Maroc
Retrouvez le Cirad et le Costea à la 17e édition du Salon international de l’agriculture au Maroc autour du thème « Agriculture et monde rural : l’eau au cœur du développement durable ».
Vergers à Meknès, , licence Creative Commons
Zhour Bouzidi est sociologue et ingénieure agronome. Elle est enseignante chercheuse à l’université Moulay Ismaïl de Meknès et responsable du projet eGroundwater pour les travaux au Maroc. Le Cirad est l’un des membres de ce projet sur la gestion participative des eaux souterraines, financé par l’Union européenne et coordonné par l'Institut d'ingénierie de l'eau et de l'environnement (IIAMA) de l’Université polytechnique de Valences, en Espagne.
Zhour Bouzidi : À l’exception des précipitations tardives du mois de mars dernier, le Maroc traverse l’une des pires périodes de sécheresse de son histoire. Nous en sommes à six années de sécheresse consécutives, avec des températures en hausse et une pluviométrie en baisse. Cette situation climatique vient accentuer la pression déjà forte autour des ressources hydriques, avec une demande qui ne cesse d’augmenter, que ce soit par l’intensification du secteur agricole ou par l’urbanisation croissante et la hausse démographique.
Sur les deux dernières décennies, les politiques agricoles nationales – le Plan Maroc Vert et Génération Verte – ont encouragé le développement des cultures d’exportation à haute valeur ajoutée, mais aussi gourmandes en eau. On parle ici des fruits et légumes, avec par exemple les agrumes, les tomates, les fruits rouges, etc. Ces choix politiques ont certes façonné le paysage agricole marocain, sauf que leurs impacts sur nos ressources hydriques se font sentir aujourd’hui, avec des niveaux bas dans la majorité des barrages et des nappes largement surexploitées.
Dès les années 1960, le gouvernement marocain a investi massivement pour augmenter l’offre en eau, notamment via la politique des grands barrages. Cette orientation se perpétue aujourd’hui à travers la construction de nouveaux barrages, l’utilisation des eaux non conventionnelles, des projets de dessalement d’eau de mer ou de traitement des eaux usées. Il n’en demeure pas moins que certains plans nationaux affichent quelques mesures de gestion de la demande, avec par exemple la réduction des pertes dans les réseaux de distribution, de l’irrigation localisée, etc.
L’eau raconte la société dans tous ses états, sa splendeur, ses injustices et sa complexité. Sa préservation est une responsabilité sociétale qui transcende l’unique relation entretenue avec la ressource pour englober le rapport avec autrui et avec soi-même.
De manière générale, le déséquilibre entre offre et demande continue d’augmenter. Cette situation de stress hydrique chronique nous interpelle tous, scientifiques, politiques, citoyens et société civile. Nous devons, d’une part, dresser un diagnostic clair de la situation hydrique du pays, et définir les engagements de toutes les parties prenantes en faveur de la gestion durable de cette ressource vitale. L’agriculture sera forcément au cœur de ces questions, ainsi que l’évaluation des politiques publiques, leur coût économique, mais aussi environnemental et social.
Enfin, il convient de nous interroger. Peut-on toujours miser sur une agriculture exportatrice et à haute valeur ajoutée, mais très consommatrice en eau, au vu de l’urgence actuelle ? Nous devons nous rappeler d’une chose : nos choix en matière de gestion de l’eau en disent long sur nos sociétés, sur les activités que nous considérons comme prioritaires, mais aussi sur les populations pour lesquelles l’accès à l’eau est difficile, car elles sont souvent invisibles, marginalisées ou absentes du débat public.
Z. B. : Cette crise hydrique n’est pas propre au Maroc. De nombreux pays font face à la même situation, et notamment en Méditerranée. Dans le projet eGroundwater, nous nous sommes basés sur un constat partagé : l’une des contraintes majeures à la gestion durable de l’eau est l’accès à l’information concernant la ressource. C’est d’autant plus vrai pour les nappes souterraines, car le niveau de l’eau n’est pas visible comme c’est le cas pour un barrage. Dans les quatre pays du projet, nous avons donc testé des systèmes d’information innovants, pour faire en sorte que tous les usagers puissent avoir accès à des données sur le niveau des aquifères, leur évolution et leur fonctionnement.
Au Maroc, nous avons travaillé dans trois communes rurales situées dans la province de Sefrou, dans la région de Fès et Meknès. En moins de vingt ans, la zone d’étude est passée d’une agriculture pluviale à une agriculture intensive, réputée aujourd’hui pour ces rosacés, notamment le pommier et le prunier. La pression sur les eaux souterraines a donc augmenté très rapidement, et on a observé une baisse de 22 mètres du niveau de la nappe entre 2014 et 2022.
Dans le cadre d’eGroundwater, nous avons mis en place avec les agriculteurs un processus de suivi participatif du niveau de la nappe, via un outil de mesure de sonde piézométrique fabriquée localement. Cela nous a permis de rendre accessible l’usage de ces dispositifs techniques habituellement très onéreux, en réduisant leur coût de 90 % par rapport aux sondes conventionnelles.
Le suivi est effectué par un groupe d’agriculteurs et consiste à prendre des mesures régulières pour les partager ensuite avec les autres usagers. Grâce à cela, on peut plus facilement programmer l’irrigation, planifier les cultures, mais aussi prévenir les périodes de sécheresse. Des ateliers d’hydrogéologie participative ont aussi été organisés dans l’objectif de créer un dialogue entre scientifiques et agriculteurs. L’hydrogéologie est la science des eaux souterraines, et ces ateliers permettent un véritable échange entre les savoirs scientifiques des chercheurs et les savoirs pratiques, basés sur l’expérience, des agriculteurs.
Z. B. : Au Maroc, les contrats de nappe visent à améliorer la gestion des ressources hydriques. Ils ont cependant obtenu jusqu’ici des résultats mitigés, notamment à cause de la faible implication des usagers. Le projet de recherche eGroundwater a testé des approches innovantes, à la fois en termes de collecte des données, mais aussi en termes de nouvelles démarches participatives. Ce travail a abouti à l’élaboration d’une proposition innovante et pionnière de contrat de gestion participative de la nappe.
Les agriculteurs de la zone étudiée, les gestionnaires d’eau potable, les collectivités locales et les acteurs institutionnels ont ainsi été accompagnés pendant quatre ans, de 2020 à 2024. Ensemble, ils ont réfléchi aux conditions et aux modalités de mise en place d’une gestion participative et durable de la ressource hydrique. La démarche engagée par eGroundwater a donné lieu à cette proposition de contrat de nappe, avec un plan d’action basé sur cinq mesures, parmi lesquelles l’amélioration de la gestion de la demande en eau et la coproduction de connaissances par les différents acteurs.
Jusque-là, dans la plupart des projets de contrats de nappes en cours, l’implication des agriculteurs restait limitée et s’arrêtait souvent à la coproduction des connaissances. Dans le modèle alternatif que nous proposons, le cadre opérationnel repose sur la participation active des agriculteurs, mais aussi de toutes les parties prenantes. Nous allons donc débattre au Siam de cette nouvelle vision pour l’accompagnement des contrats de gestion participative de l’eau, en espérant que les résultats obtenus à Sefrou puissent être transférables à plus large échelle.
La conférence, qui aura lieu à 14h le jeudi 24 avril dans le pavillon France, est co-organisée par l’Université Moulay Ismaïl, l’Agence du Bassin Hydraulique du Sebou et le Cirad. Agriculteurs, institutions partenaires, ministères et bailleurs de fonds seront présents pour discuter des avancées et des perspectives.
Retrouvez le Cirad et le Costea à la 17e édition du Salon international de l’agriculture au Maroc autour du thème « Agriculture et monde rural : l’eau au cœur du développement durable ».