À la découverte du meilleur poivre du monde

Science en action 4 mars 2024
Les qualités gustatives exceptionnelles du poivre sauvage de Madagascar sont telles qu’en 2010, la demande mondiale explose. Le voatsiperifery pousse sur des lianes très haut dans la canopée des forêts naturelles. Mais sa cueillette difficile n’empêche pas sa surexploitation avec des techniques destructrices pour la forêt. Des programmes menés par le FOFIFA, le Cirad et avec des cueilleurs tentent de cultiver cette liane. Récit d’une épopée de domestication.
À Madagascar, le voatsiperifery est un poivre sauvage endémique qui suscite les convoitises. Mais son exploitation s'accompagne d'un destruction de son milieu © Cirad, J. Queste
À Madagascar, le voatsiperifery est un poivre sauvage endémique qui suscite les convoitises. Mais son exploitation s'accompagne d'un destruction de son milieu © Cirad, J. Queste

À Madagascar, le voatsiperifery est un poivre sauvage endémique qui suscite les convoitises. Mais son exploitation s'accompagne d'un destruction de son milieu © Cirad, J. Queste

Le voatsiperifery : quelle est donc cette nouvelle épice au nom imprononçable,  ? Il s’agit du poivre sauvage de , une épice endémique de l’île devenue populaire il y a une quinzaine d’années.

Considéré comme un des meilleurs poivres au monde, il possède un goût d’une subtilité rarement égalée, plus de saveurs et de senteurs et moins de piquant que les autres poivres. Une fois séchées, les baies dégagent des arômes à la fois boisés, terreux et fruités ; fraîches, ses saveurs et senteurs sont encore plus équilibrées. Le voatsiperifery est l’illustration parfaite des services écosystémiques dits que fournissent les forêts naturelles de Madagascar et leur biodiversité.

De la médecine à la gastronomie

Si le voatsiperifery ne contribue pas à la sécurité alimentaire, il fournit cependant un plaisir gustatif à des gastronomes du monde entier ; une raison de plus d’investir dans la conservation de la biodiversité. pour les paysans vivant en lisière de forêts, notamment durant la période de soudure, période entre deux récoltes durant laquelle les gens n’ont presque pas à manger : les récoltes précédentes sont épuisées et les suivantes ne sont pas encore disponibles.

Il est aussi le parfait ambassadeur de Madagascar. C’est la qui soit endémique de la grande île. Ce poivre sauvage est une petite baie ronde ou ovoïde. Ces baies s’organisent en grappes qui poussent sur de grandes lianes dans les forêts naturelles humides orientales de Madagascar, des littorales jusqu’aux hautes terres centrales. , c’est-à-dire que les fleurs mâles et femelles sont portées par des pieds distincts.

En malgache, voatsiperifery est la contraction de « voa » qui signifie fruit et de tsiperifery signifie « qui fait que les plaies n’existent pas ». Ce nom provient de l’usage médicinal de cette plante pour et désigne la baie elle-même, alors que tsiperifery est le nom donné à la plante. De la famille des pipéracées, le voatsiperifery est un cousin du poivre noir (Piper nigrum) et a été un temps assimilé au Piper borbonense de l’île de La Réunion. Cependant, à l’heure où nous écrivons cet article, le tsiperifery n’a en revanche toujours pas de nom scientifique valide.

Une histoire qui s’accélère

Les premières références écrites à la liane de tsiperifery remontent à l’époque coloniale. Des écrits du XIXe siècle et du début du XXe siècle décrivent un poivre rond utilisé localement à des fins médicinales, pour soigner des maladies vénériennes, des coliques et pour noircir les dents. Des spécimens collectés par les premiers explorateurs européens sont conservés au Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

Le tsiperifery est une liane qui pousse haut le long des arbres, rendant la récolte des baies difficile © FOFIFA , Harizoly Razafimandimby

Le tsiperifery est une liane qui pousse haut le long des arbres, rendant la récolte des baies difficile © FOFIFA , Harizoly Razafimandimby

Les populations riveraines des forêts exploitent et utilisent de façon traditionnelle le tsiperifery pour ses valeurs culinaires, médicinales mais aussi culturelles et spirituelles. Les feuilles sont utilisées dans des rites pour se protéger de la foudre et empêcher la pluie de tomber. Les tiges et racines sont préparées dans des tisanes contre les mauvais sorts. En plus d’être un bon cicatrisant, .

Les qualités gustatives exceptionnelles du tsiperifery sont découvertes entre 2004 et 2010, par deux « découvreurs d’épices », Olivier Roellinger et Gérard Vives. À compter de 2010, la demande explose et déclenche une ruée vers ce poivre sauvage. L’exploitation de cette ressource s’appuie sur les circuits de collecte existants : les cueilleurs s’enfoncent en forêt et vendent des baies fraîches à des collecteurs. Ces derniers collectent tout type de produit forestier et les revendent à des opérateurs économiques qui assurent la transformation, l’ensachage et l’exportation. Ces derniers capturent l’essentiel de la rente de la chaîne de valeur.

Mais la cueillette de ce poivre sauvage est difficile. En forêt naturelle, les lianes fructifient très haut dans la canopée. Arracher la liane fructifère, voire abattre l’arbre qui lui sert de tuteur est alors la solution la plus simple. À peine découvert, le poivre sauvage se voit déjà menacé de disparition et contribue à la destruction de son habitat.

Dès 2010, des chercheurs malgaches et français, dont nous faisons partie, initient interdisciplinaires pour acquérir, dans l’urgence, les connaissances permettant d’accompagner le développement de la filière d’exportation du tsiperifery. Ces recherches portent sur la , sur son , l’économie de et sur la . Ces recherches aboutissent à la production de .

La culture du tsiperifery en forêt naturelle

À l’instar d’autres produits forestiers non ligneux (PFNL) comme les champignons, certaines écorces ou le miel, les retombées de l’exploitation du tsiperifery devraient bénéficier aux populations riveraines de forêts qui sont en grande précarité. C’est en tout cas le principe à l’origine du protocole de Nagoya, qui traite notamment du partage juste et équitable des résultats de recherches ou financiers liés à l’exploitation des ressources. En pratique, la .

Dans le cas du tsiperifery, les techniques de cueillette s’avèrent destructives. Dans les forêts malgaches, les , donc rapidement surexploités. La faiblesse de l’État malgache rend illusoire toute forme de régulation étatique. Les instruments de régulation des filières comme la certification butent sur le vide juridique qui encadre la collecte de produits sauvages en forêt.

Les travaux de recherche en cours visent à sortir de ce paradigme en , à l’instar de ses cousins pipers. Des lianes cultivées sont susceptibles d’être considérées comme des ressources privées ou associatives, protégées par ceux qui les exploitent. a servi de principe d’action à menés par le Cirad et le FOFIFA en concertation avec quatre villages de cueilleurs de voatsiperifery.

Dans deux d’entre eux, la concurrence avec d’autres cultures plus lucratives – la vanille et les fruits de la passion – a conduit à un abandon de la tentative de domestication. Dans les deux autres, les recherches ont permis de .

Les premières enquêtes conduites trois ans après la replantation de lianes en forêt mettent en évidence une forte augmentation de la densité en lianes de tsiperifery, y compris dans des zones hors plantation. Les riverains de la forêt ont donc cessé d’arracher les lianes, en replantent et opèrent une surveillance des parcelles forestières qui les abritent. Le tsiperifery y a changé de statut. De liane sauvage en libre accès, il devient un argument en faveur de la conservation de la forêt.

Le chemin vers la domestication du poivre sauvage reste cependant encore long. Il faut à présent investir des aspects agronomiques comme la fertilisation, la sélection variétale et la protection des cultures. Au niveau de la filière, les paysans ne cultiveront du tsiperifery que s’ils sont convaincus de pouvoir écouler leurs produits à un prix acceptable. Une évolution des relations entre amont et aval de la filière semble nécessaire à cet égard.

La version originale de cet article a été publiée sur .