- Accueil
- Dans le monde
- Nos directions régionales
- Afrique de l’Ouest - Zone sèche
- ´¡³¦³Ù³Ü²¹±ô¾±³Ùé²õ
- Agropoles en Afrique de l’Ouest
Pôles de croissance en Afrique de l’Ouest : Politiques publiques et risques pour les producteurs familiaux

Bâtiments de la compagnie agricole de Saint Louis dans la vallée du Fleuve Sénégal. © P Y Legal, Cirad
Plus de quinze pays en Afrique de l’Ouest mettent en place une stratégie nationale pour la création de pôles de croissance agricoles. Les « agropoles » ont été promus comme des modèles de développement territorial afin d’attirer les investissements privés dans les zones considérées à potentiel agricole. Particulièrement marquée par les différentes crises économiques et la sanitaire, cette tendance se maintient en Afrique de l’Ouest, comme le révèlent plusieurs annonces gouvernementales ces derniers mois.
Bien qu’ils soient parfois présentés comme des boîtes à outils techniques pouvant s’adapter aux contextes nationaux, les agropoles comportent des enjeux importants pour les agricultures ouest-africaines. Leurs retombées positives sont censées reposer sur la concentration géographique, le changement technique et la coordination verticale afin de favoriser les économies d'échelle et d'agglomération.
Mais les politiques publiques nationales ne sont pas neutres quant à la mise en œuvre des agropoles. Dans quelles mesures cherchent-elles à piloter des transformations inclusives ? Les résultats de recherche récente apportent un éclairage sur la mise en œuvre concrète dans plusieurs cas nationaux dans la filière riz.
Une approche territoriale du développement des chaînes de valeur reposant sur des hypothèses fortes
Le modèle initialement promu par des banques de développement vient répondre à un diagnostic fortement ancré dans l’économie institutionnelle et repose sur des hypothèses fortes. Des références à l'organisation spatiale des chaînes de valeurs (pôles de croissance de F. Perroux, grappes industrielles d’inspiration marshallienne) sont combinées à un fort accent sur les arrangements institutionnels tels que les contrats, les entreprises et les droits de propriété. Ces axes sont vus comme centraux pour corriger des problèmes tels que l'asymétrie de l'information, l'incertitude et le manque d'application de la loi. Ils se concrétisent par l’encouragement aux investissements de grande entreprises dans la production et l’aval des filières, et la coordination marchande avec les petits producteurs locaux.
Une contribution importante de l’article est la mise en perspective de ces hypothèses dans l’état actuel des connaissances scientifiques. Dans ses différentes modalités de mise en œuvre pratique, le modèle tend à minimiser les soutiens à la coordination non marchande, telles que la réglementation, les transferts directs aux petits exploitants ou le soutien aux groupes de producteurs. La coordination verticale, en particulier à travers des contrats, ainsi que la formalisation foncière sont perçus comme ayant nécessairement des effets d’entraînement positifs.
Ces hypothèses fortes sont pourtant questionnées dans la littérature, qui souligne des risques importants. D’une part, la coordination verticale peut n'avoir aucun impact positif sur le revenu des agriculteurs, voire comporter un impact négatif du fait de l'augmentation des coûts générée par l'utilisation d'intrants supplémentaires. D’autre part, l’intensification des pratiques agricoles souhaitées repose en grande partie sur une modification des modalités d’accès au foncier rural : formalisation, sous-location. L’étude montre que les risques du modèle sont peu pris en compte dans sa mise en pratique dans quatre cas sélectionnés.
Les agropoles en pratique : schéma récurrent dans les politiques accompagnant leur mise en œuvre
Les résultats consolidés publiés dans la revue Canadian Journal of Development Studies/ Revue Canadienne d’Etudes du Développement sont le produit de recherches menées au sein de l’UMR Art-Dev du Cirad depuis 2018. Il s’agit d’une étude comparative de quatre études de cas, au Burkina Faso (Bagrépôle), en Côte d'Ivoire (agropole du Bélier), au Mali (appel à capitaux à l'Office du Niger) et au Sénégal (projet de développement inclusif et durable de l'agrobusiness au Sénégal, PDIDAS). Elle apporte des connaissances nouvelles sur les acteurs cibles, le niveau d'opérationnalisation et les dépenses publiques allouées aux politiques publiques de soutien à la mise en œuvre des agropoles.
L’étude dégage un schéma récurrent dans les politiques publiques, qui se concentrent sur les exemptions fiscales et l’accès au foncier, ne procurant qu’un soutien limité à la coordination des acteurs à travers les services agricoles et l’accès au financement. Des spécificités notables pour les différents cas sont aussi identifiées. L'accent n’est pas toujours mis uniquement sur l’intensification de la filière riz via l'irrigation : en Côte d’Ivoire, les industries de transformation du riz sont aussi encouragées. Au Mali, le financement ne s'est pas matérialisé, mais de vastes superficies de terres ont été effectivement transférées dans l'Office du Niger, la plus grande zone agricole la plus grande zone agricole irriguée d'Afrique de l'Ouest. Le Sénégal et le Burkina Faso, où les agropoles sont les plus avancés en termes de mise en œuvre des projets, offrent des exemples contrastés de développement de l'agro-industrie en Afrique de l'Ouest.
Résultats appelant à la prudence et perspectives de recherche
En dix ans de mise en œuvre, les agropoles ont obtenu des résultats limités en termes d'afflux d'investissement. Les données analysées permettent de souligner que les résultats effectifs diffèrent des effets positifs escomptés selon les hypothèses fortes proposées dans le modèle initial. Cela est dû en partie aux retards importants que connaissent plusieurs projets, ou encore au retrait de certains investisseurs des contrats de partenariat public-privé (PPP). Les implications en termes de changement de la structure foncière et de production semblent pourtant comporter des risques, au même titre que des projets d'intensification agricole qui reposeraient directement sur l'acquisition de terres.
Le développement des agropoles en Afrique de l’Ouest tel qu’il se poursuit dans les cas étudiés comporte des risques d’impacts négatifs pour les producteurs familiaux. Ces résultats appellent à des politiques publiques complémentaires visant à soutenir une inclusion durable des petits producteurs locaux.