Science at work 24 March 2025
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Agriculture urbaine et pollution des sols : réévaluer les risques sanitaires
Ici, des plants en Rhizotest. Le Rhizotest est un biotest de laboratoire qui permet d'évaluer les transferts des éléments traces du sol vers la plante © C. Dangléant, Cirad
L’essentiel
- Pour l’heure, il n’existe pas d’outil pertinent pour évaluer le risque sanitaire lié à la culture de plantes sur sols urbains contaminés. Dans ce contexte, les collectivités optent généralement pour un principe de précaution, ce qui freine le développement des activités agricoles en zone urbaine.
- La collaboration public-privé entre le Cirad, Inrae et GINGER BURGEAP vise à mettre au point une méthode fiable d’évaluation des risques sanitaires via l’utilisation du Rhizotest, un outil qui simule en laboratoire les transferts de contaminants du sol vers la plante.
Depuis le début des années 1990, la France effectue par les éléments traces, parfois appelés à tort « métaux lourds ». Parmi eux, on retrouve le plomb, le cadmium, l’arsenic ou encore le cuivre. S’ils sont naturellement présents en faible concentration dans les sols, les éléments traces sont considérés comme des polluants lorsqu’ils dépassent un certain seuil. De nombreux sols urbains en Europe présentent des concentrations élevées. Les causes sont multiples : les activités industrielles, mais aussi les retombées atmosphériques, l’apport de remblais de mauvaise qualité, l’épandage des boues de station d’épuration, ou encore la reconstruction de la ville sur elle-même.
Les activités agricoles en zones urbaines sont donc potentiellement risquées d’un point de vue sanitaire, à cause de contaminations possibles via la consommation d’aliments cultivés sur ces sites pollués. Mais ces risques sont souvent mal évalués. « Une forte contamination du sol n’engendre pas toujours un transfert d’éléments traces vers la plante, explique Matthieu Bravin, biogéochimiste au Cirad et spécialiste de la pollution des sols agricoles. Tout un tas de facteurs peut venir freiner ou accélérer le transfert du sol à la plante, comme le pH du sol. Et chaque plante réagit aussi différemment. Sur une même zone, on va retrouver des concentrations en éléments traces différentes dans une carotte et dans une salade, par exemple. »
Mieux évaluer les risques sanitaires en ville
Aujourd’hui, l’usage agricole des sols urbains est de plus en plus plébiscité. Les collectivités doivent parfois refuser les projets en vertu du principe de précaution. L’alternative est l’apport de terre végétale pour former une couche non contaminée au-dessus du sol pollué, une solution « pas très durable » selon Matthieu Bravin : « le déplacement de terres coûte cher et son impact carbone est important. En plus de cela, il s’agit souvent d’une ressource qui aurait pu participer à une production agricole sur le site de prélèvement ».
De nouvelles méthodes sont donc nécessaires afin d’évaluer les risques sanitaires au plus juste. C’est toute l’ambition du partenariat entre la , Inrae et le Cirad autour du Rhizotest, un biotest de laboratoire qui vise à évaluer les transferts des éléments traces du sol vers la plante via une méthode standardisée, plus simple et rapide à mettre en œuvre qu’un essai de terrain. Le développement appliqué de l’outil est soutenu par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) à travers le projet PHYSALIS.
Le Rhizotest : un outil simple, des mesures standardisées
En milieu réel, évaluer les transferts d’éléments traces du sol vers la plante demande un grand nombre de prélèvements, beaucoup de temps et de moyens (financiers et humains). Sur de larges échelles, obtenir un suivi précis et régulier est souvent impossible. Et c’est là que réside l’intérêt du Rhizotest, effectué en milieu contrôlé via une mesure standardisée du transfert sol-plante des contaminants du sol.
« Vingt-deux jours suffisent pour mesurer le flux des contaminants du sol accumulés dans la plante, détaille Laure Lemal, cheffe de projet R&D chez GINGER BURGEAP. Un autre avantage crucial, c’est qu’on peut évaluer de façon parfaitement comparable plusieurs dizaines de situations sur quelques mètres carrés de chambre de culture. »
« Le Rhizotest a initialement été développé pour étudier les interactions entre les racines des plantes et le sol à leur contact, qu’on appelle la rhizosphère, relate Matthieu Bravin. C’est dans les années 2000 qu’on a commencé à l’utiliser comme outil de diagnostic sur le transfert d’éléments traces, avant que la méthode ne soit normalisée en 2015. » ()
Partenariat public-privé : vers l’opérationnalisation des connaissances
L’accord de partenariat, signé en janvier 2025 entre GINGER BURGEAP et le Cirad, vise à développer des applications concrètes du Rhizotest pour l’évaluation des risques sur des sites et sols pollués en France. Jean-Marie Côme dirige le département R&D du Groupe GINGER, qui compte aujourd’hui une vingtaine de personnes, dont cinq doctorants. Selon lui, « préciser de façon fiable le risque de transfert de polluants entre les sols et les plantes est une priorité forte pour développer l’agriculture urbaine. La collaboration avec le Cirad vise à mieux opérationnaliser des résultats académiques et à en dégager des innovations mobilisables par les collectivités ». Dans ce cadre, Laure Lemal ainsi qu’Alexandra Mille-Egea, doctorante, bénéficient d’un accueil à temps plein dans les locaux du Cirad à Montpellier.
Actuellement, la mesure des flux de transfert en Rhizotest permet de dire si le transfert est supérieur ou inférieur à une situation témoin (par exemple une mesure Rhizotest faite sur le même sol non contaminé). Problème : cela ne suffit pas pour estimer la présence de contaminants dans la partie consommable de la plante. Afin de démocratiser l’usage du Rhizotest, il est donc nécessaire d’établir des seuils d’interprétation de ces valeurs de flux. Il faudra également faire le lien entre la mesure Rhizotest, effectuée sous conditions contrôlées de laboratoire, et les mesures de concentrations dans les fruits et légumes effectuées en conditions réelles, sur le terrain.
Projet PHYSALIS : une méthode pour prédire le risque sanitaire
« Dix ans après la normalisation de la méthode Rhizotest, nous disposons de plus de 15 000 données sur une diversité d’éléments traces, de sols et de plantes » explique Matthieu Bravin. Ces quelques milliers de données accumulées serviront à la création d’une base de données, qui permettra le développement de la méthode d’interprétation des mesures obtenues en Rhizotest. Il s’agit de la première étape du projet PHYSALIS, qui a débuté en janvier 2025. Le développement de cette méthode d’interprétation passera notamment par la construction de situations « témoins » représentant des contextes de sol non contaminé.
Alexandra Mille-Egea est doctorante et ingénieur en traitement et analyse de données. Son travail de thèse sera clé pour le développement de cette méthode d’interprétation. « Dans cette base de données, on devra trouver un sol non contaminé pour lequel un flux de prélèvement par la plante a été mesuré. Ça nous servira de valeur témoin à comparer au flux de prélèvement mesuré en Rhizotest pour une plante exposée à un sol pollué. Par exemple, si le flux de prélèvement d’arsenic d’une tomate cultivée sur un sol très pollué est inférieur ou égal au flux de prélèvement d’arsenic observé sur une tomate cultivée sur sol témoin, on pourra en conclure que le risque sanitaire lié à l’accumulation d’arsenic dans la tomate est acceptable. »
La thèse d’Alexandra Mille-Egea relève du dispositif Cifre, qui vise à favoriser le partenariat entre la recherche publique et les entreprises privées. La doctorante bénéficie ainsi d’un co-encadrement Cirad-GINGER BURGEP-Inrae.
Plusieurs métropoles se sont déjà dites intéressées par les débouchés du projet PHYSALIS, dont la métropole de Lyon. Marie Frascone est chargée de mission « Sites et sols pollués » pour la Métropole de Lyon : « l’agriculture urbaine assure plusieurs services, à la fois écologiques, sociaux, mais aussi en termes de sécurité alimentaire pour certaines populations. Or à Lyon, les sols urbains sont très dégradés, avec parfois de très fortes concentrations en plomb. Aujourd’hui, on est convaincu qu’il existe une marge de manœuvre entre les risques calculés avec la méthode d’évaluation actuelle et la réalité, notamment car on a déjà fait l’expérience de risque avéré faible sur le terrain alors que la méthode d’évaluation estimait un risque élevé. » Dans le cadre de PHYSALIS, la métropole mettra notamment à disposition des sites sur certains terrains visés par des projets d’agriculture urbaine, afin de vérifier l’adéquation des résultats obtenus en Rhizotest avec la réalité du terrain.
Référence
Laurent Céline, Bravin Matthieu, Crouzet Olivier, Lamy Isabelle. 2024. . Science of the Total Environment, 906:167771, 13 p.